Paru dans la revue des Missions Etrangères de Paris, N°461 juin 2011.
Un artiste français à Bali.
Jean-Philippe Haure est né en 1969 à Orléans. Il vit actuellement à Bali - Indonésie- avec son épouse balinaise et ses deux enfants dans un village d’artistes où il a bâti sa maison. Il est diplômé de l’école Boulle, l’établissement parisien réputé pour ses formations de haut niveau aux métiers d’art tels que l’ébénisterie dans laquelle Jean-Philippe excelle. C’est ainsi qu’il a travaillé à la restauration de pièces du mobilier national.
J’ai pour la première fois rencontré Jean-Philippe pendant l’été 1990. Il venait de l’abbaye de Fleury à Saint-Benoît-sur Loire où il était novice. Il se préparait à partir comme volontaire pour l’île de Bali, et devait rejoindre le Père Maurice Le Coutour ... Je l’ai vu une seconde fois l’année suivante alors que, rendu à pied d’œuvre, il animait et développait un atelier d’ébénisterie à Gianyar sur le territoire de la paroisse catholique.
À partir de 1996, il a assuré la direction de l’école professionnelle que Maurice le Coutour avait fondée et qu’il venait de laisser pour repartir au Cambodge. Il cultive et développe ses dons à travers la photographie, le dessin et la peinture. Il commence à exposer ses travaux à partir de 1997. En lien avec les missionnaires MEP d’Indonésie, il participe à leur retraite et réunion annuelle. Il a lui-même, à plusieurs reprises, accueilli et accompagné des volontaires envoyés par les MEP.
Jean-Philippe utilise pour ses tableaux de beaux et solides papiers d’imprimeur. La préparation de ces papiers consiste à les plonger dans l’eau pour qu’ils prennent les couleurs mises en suspension: elles s’étalent, forment des nuages ... La rêverie sur l’eau et les nuages ne permet pas encore d’y pressentir des formes, des figures, des destins, mais c’est un milieu propice ... Ces papiers où Jean-Philippe avait donné libre cours à l’œil, à la main, au hasard, une fois qu’ils sont secs, il les garde plus ou moins longtemps en réserve jusqu’au jour où il se décide à les « relire ».
Un travail assez différent commence alors. Autant le jeu avec l’eau et les couleurs avait été libre, évasif, autant celui qui commence révèle l’acuité, la précision, jusqu’à la minutie. Jean-Philippe, au crayon, a un trait de graveur. Son vrai sujet, c’est le corps humain: il ne note rien hors ce relevé précis d’une pose, d’un mouvement, d’un drapé, d’une anatomie: aucun décor, milieu ou événement, qui mettrait ce corps en situation. On pense à des dessins de sculpteur.
J’ai demandé à Jean-Philippe la permission de reproduire les deux dessins ci-contre (voir en fin d’article). Une vieille femme: le même modèle a-t-il servi pour deux images?
L’attitude, identique de part et d’autre, est facilement observable en Asie sur un marché ou sur un seuil: c’est ainsi qu’on se repose, qu’on palabre ou qu’on attend. Pour l’une, l’artiste semble avoir profité d’un moment où le modèle tournait la tête : un corps à la fois ramassé sur lui-même et tendu vers ailleurs par ce regard qui nous échappe : profil perdu. Les étoffes deviennent prétexte à de beaux effets de drapé. La seconde image est plus récente. Elle n’a pas encore été publiée. Si dans la première l’artiste a surpris son modèle, dans la seconde, c’est le modèle qui surprend l’artiste: cette ancienne nous regarde sans aménité, son beau visage ruiné et marqué interroge.
Il est abusif, j’en conviens, de faire comme je fais parler des images. Les mots s’interposent entre l’œuvre et celui qui veut voir. Tout ne se jouait qu’entre le regard et la main qui dessine. Et entre deux regards. Je lis pourtant, dans ces représentations, quelque chose de tendu et de désirable comme le dialogue entre deux mondes, deux cultures, deux personnes, deux âges qui tentent de s’apprivoiser. La tentative de saisir, celle de l’artiste et du spectateur, est retardée par ce regard saisissant qui nous arrête.
B. J.